Donghua, comment avez-vous vécu la victoire de Pékin?
J’étais devant ma télévision, chez moi. J’ai souri et j’ai dit: «Geschafft!» (C’est fait!) C’était un jour très important pour le sport chinois et pour beaucoup de sportifs dans le monde. Je sais combien mes compatriotes attendaient ce moment. Ensuite, j’ai appelé ma famille et mes amis restés au pays. J’ai senti leur joie.
Quelle Chine les athlètes découvriront-ils en 2008?
Ils s’apercevront de l’énorme enthousiasme pour le sport et les sportifs, qui passe par le cœur. Là-bas, on soutient tout ce qui tourne autour du sport. Je me souviens du voyage accompli avec l’équipe suisse de gymnastique, à l’occasion des Mondiaux de 1999. Une expérience géante, pour eux.
Vous connaissez les craintes du monde entier devant les problèmes des droits de l’homme en Chine. Quelle influence auront les Jeux dans ce domaine?
Pour moi, c’est une bonne chose que la Chine ait un maximum de contacts avec les autres pays du monde. L’ouverture ne pourra qu’améliorer la situation dans différents domaines: l’environnement, par exemple. La Chine est un très grand pays. Avec 1,3 milliard d’habitants, tout ne peut pas être absolument bon, bien sûr. Mais quel pays n’a pas ses problèmes? Il n’y a qu’un moyen pour combattre les idées reçues: aller le visiter, multiplier les contacts. Les Jeux vont y contribuer.
Avec le choix de Pékin, le CIO n’apporte-t-il pas un soutien implicite à ce gouvernement qui terrorise la population?
N’oubliez pas un paramètre capital: la population est vraiment derrière les Jeux, à 96% selon les sondages. Si le gouvernement seul les voulait, rien ne fonctionnerait. Je vois plutôt ces Jeux comme une occasion de réaliser une entreprise commune entre le peuple et le gouvernement. Les gens ne pourront qu’en profiter.
C’est ce qu’ils vous disent, vraiment?
Je me rends régulièrement en Chine. L’autre jour, un homme dans la rue m’a raconté qu’une rivière passait derrière sa maison et que son odeur était si nauséabonde qu’elle gênait tout son quartier. «Si Pékin gagne, ils vont tout réparer!» m’a-t-il dit, plein d’espoir. Vous voyez, les Jeux vont améliorer la qualité de la vie des Chinois.
Le gouvernement sera moins dur?
Comment cela, dur?
Je parle des centaines de milliers de personnes en prison, des 1400 exécutions en mai et en juin, selon Amnesty…
Moi, je pense plutôt au nouvel aéroport, aux autoroutes, au métro qui va se développer. C’est cela que je vois.
Si vous parliez en mal de la Chine, votre famille restée là-bas pourrait-elle connaître des problèmes?
Moins qu’autrefois, je crois. Avant, c’était bien pire. Non, je n’ai pas peur.
Vous avez vécu la préparation des sportifs d’élite chinois. Comment votre carrière a-t-elle commencé?
Mes parents sont ingénieurs, ni riches ni pauvres, ils travaillent dans la même firme. Ma ville, Chengdu, comprend 8 millions d’habitants. A 7 ans, je suis entré dans une école. Un jour, un professeur a demandé quels élèves souhaitaient participer à une heure de sport par jour. Moi, j’adorais les acrobaties, je jouais beaucoup. J’ai levé la main. C’était un internat: je dormais la semaine à l’école et mes parents venaient me rendre visite chaque soir. Nous avons d’abord eu une heure d’entraînement par jour, puis davantage.
Quand avez-vous vraiment passé à une vie de sportif?
Les responsables ont dit que j’avais du talent. Dès l’âge de 11 ans, j’ai pu entrer à l’école de ma province. Là, nous faisions de trois à quatre heures de gymnastique par jour.
Etait-ce pénible?
Je me souviens qu’au début je n’arrivais pas à faire le grand écart. Le professeur a appuyé, il m’a fait mal. Avec la répétition des efforts, j’avais des douleurs partout. Je n’ai plus voulu continuer. Pendant deux jours, j’ai tout arrêté. Mes parents ont parlé avec moi, ils ont insisté. Un sportif chinois est bien payé, il a un avenir, il mange bien. C’est un honneur pour une famille d’avoir un sportif d’élite dans ses rangs. Depuis là, je me suis engagé.
Quelles conditions d’entraînement aviez-vous?
Au début, nous dormions à douze dans une chambre. Moi, j’étais couché tout en haut, il m’arrivait de tomber du lit. Nous nous levions à 6 heures du matin. Il fallait être dehors en cinq minutes, habillés. Nous avions une heure d’entraînement avant le petit déjeuner puis l’école le matin. L’entraînement se passait aussi l’après-midi. L’école reprenait le soir, jusqu’à environ 9 heures et demie. Nous avions des punitions si nous n’étions pas assez assidus: faire la pièce droite pendant dix minutes ou courir une demi-heure en plus. Mais le week-end, quand je rentrais chez moi, ma maman s’appliquait à me faire de superrepas…
N’avez-vous pas ressenti du chagrin à quitter votre famille si jeune?
On ne peut pas comparer avec la situation d’un sportif en Suisse, ce serait faux et impossible. En Chine, le sport a beaucoup plus de valeur. C’est un bonus énorme. Chaque famille aimerait envoyer son enfant dans une école de sport.
Comment avez-vous rencontré votre femme?
Je poussais mon vélo sur la place Tien An Men, un dimanche. Une femme étrangère à longs cheveux m’a demandé un renseignement: elle cherchait l’emplacement d’un parc. Nous avons parlé un peu et, le lendemain, elle est venue me rendre visite dans ma salle d’entraînement. Nous avons passé sept jours ensemble puis elle est partie. Nous nous sommes écrits. Six mois plus tard, je l’ai demandée en mariage.
Pourquoi avez-vous quitté la Chine?
On m’a demandé de choisir entre le sport d’élite et l’amour. J’étais en équipe na-tionale chinoise: un fonctionnaire m’a expliqué que je ne pourrais pas y rester si j’épousais une étrangère. J’ai réfléchi pendant trois jours, j’ai pleuré, je ne comprenais pas. Et j’ai décidé de m’en aller, de changer de vie, pour suivre Esperanza. Nous nous sommes mariés à Chengdu le 12 décembre 1988. Et avons quitté la Chine en mars 1989.
Comment s’est passée votre arrivée en Suisse?
Je n’oublierai jamais le premier entraînement, dans une salle de gym de Lucerne. J’ai été bouleversé quand j’ai vu que les gymnastes devaient sortir les engins eux-mêmes des armoires, dans un pays aussi riche. En Chine, il y a un responsable pour cela! Ensuite, j’ai eu beaucoup de problèmes à entrer en équipe nationale, à m’entraîner. J’ai été très seul. Je ne comprenais pas pourquoi on refusait qu’un sportif d’élite comme moi aide l’équipe nationale locale. A cause des problèmes d’entraînement et de passeport, que je n’ai obtenu qu’en 1994, j’ai perdu cinq ans de carrière. Ma meilleure période sportive. C’est dommage.
Comment viviez-vous?
Nous avions un petit appartement. J’ai travaillé quelque temps dans un garage, à Horgen. C’était un changement complet, pour moi. En Chine, un athlète est entièrement entretenu. Parfois, je n’avais plus de forces pour m’entraîner. J’ai appris à me battre. C’est aussi une partie de la mentalité chinoise: nous sommes tenaces. Maintenant, je suis vraiment aussi Suisse que Chinois.
Mais espérez-vous que ces minorités puissent au moins parler, à l’occasion des Jeux olympiques?
Pour tous les êtres humains, pour toutes les minorités, les Jeux seront une occasion de se connaître.
Pékin a-t-il changé, en douze ans?
Beaucoup, oui. J’y retourne chaque année et je suis à chaque fois surpris. (Il rit.) Avant, peu de gens savaient où se trouvait la Suisse, par exemple. Maintenant, ils sont plus ouverts.
Grâce à vous?
En partie. Beaucoup de gens connaissent mon histoire. J’aime travailler pour que ces deux pays se connaissent mieux. Je joue un peu les ambassadeurs, c’est très agréable. Cet été, je guide une délégation suisse dans une grande manifestation sportive et j’irai assister au Mondial de boxe avec Evander Holyfield. Un événement pour la Chine.
Y a-t-il davantage de libertés en Suisse qu’en Chine?
Il y a d’autres règles en Chine, mais la Suisse a aussi les siennes. Une chose est très différente pour un Chinois: l’agitation dans la rue. En Chine, des centaines de personnes marchent sans cesse, cela bouge, cela vit. Lucerne est si tranquille…
Et encore sur le net...
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• Le site personnel de Donghua Li, où l'on constate qu'il est le seul sportif à avoir été sacré champion olympique, du monde, d'Europe, de Chine et de Suisse... |
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