Le Temps
Premier débat public avec le CIO sur les JO
A New Delhi, 70 Tibétains ont tenté jeudi d’organiser un relais concurrent à celui de la flamme olympique. Le trajet de la véritable torche a été réduit de 9 à 3 kilomètres et s’est déroulé sous haute surveillance en raison de l’importance de la communauté tibétaine en Inde. (photo: Keystone)
CONTROVERSE. Deux tables rondes ont été organisées hier au Musée olympique de Lausanne pour débattre de la polémique qui entoure les Jeux de Pékin.
Caroline Stevan
Vendredi 18 avril 2008
Au café du Musée olympique, on distribue des «biscuits de fortune». Dans la tente rouge installée juste en dessous, on débat de la pertinence des Jeux de Pékin face à la situation des droits humains en Chine. Pour la première fois, jeudi, le Comité international olympique a participé à un débat public sur la question. Organisée par Swiss Olympic et l'Université de Lausanne - les deux institutions collaborent dans le cadre d'un cours sur «l'esprit olympique» -, la discussion était cependant destinée aux étudiants. Aucune publicité n'a été faite à l'extérieur. Hein Verbruggen, président de la Commission de coordination des JO 2008, Gilbert Felli, directeur du département des Jeux au CIO, René Vaudroz, vice-président de Swiss Olympic, Antoine Kernen, sinologue, Daniel Bolomey, secrétaire général de la section suisse d'Amnesty International et Donghua Li, athlète chinois, ont débattu des liens, lâches ou étroits selon les participants, liant le sport et la politique. Une agora a suivi la controverse, avec quelques changements dans la liste des intervenants: notamment Sergeï Aschwanden en plus, Daniel Bolomey en moins. Réservée aux «amis du musée», elle sera toutefois retransmise sur la TSR.
«L'indignation est sélective»
Hein Verbruggen (à g.) et Gilbert Felli (à dr.), président de la Commission de coordination des Jeux de Pékin et directeur du département des JO au CIO.
Caroline Stevan et Isabelle Musy
Le Temps: Pourquoi être resté silencieux jusque-là?
Gilbert Felli: Si le CIO ne critique pas la Chine, on considère qu'il ne s'est pas exprimé! De grandes déclarations sur les droits humains feraient certes plaisir aux ONG, mais je ne pense pas qu'elles permettent de résoudre les problèmes. Je ne crois pas non plus que les remous de ces dernières semaines ait fait avancer le dossier droits de l'homme en Chine. On risque au contraire quelques coups de pédale en arrière à cause de vexations...
- En choisissant la Chine en 2001, étiez-vous conscient des difficultés?
Hein Verbruggen: On s'attendait à des manifestations. Ce n'est pas parce qu'on a choisi la Chine qu'on a des problèmes. Si on avait choisi les Etats-Unis, on en aurait aussi en raison de la guerre en Irak et de Guantanamo.
- Le CIO et les athlètes ne sont-ils pas injustement stigmatisés?
H.V.: L'indignation est sélective. Je déplore de constater que certains politiciens signent des contrats en Chine sans susciter de levée de boucliers. On n'entend pas non plus Amnesty International lorsqu'il y a un Grand Prix de Formule 1 en Chine.
- Hein Verbruggen, en tant que responsable des JO de Pékin vous avez suivi le développement du projet sur place. Avez-vous été témoin des conditions de travail déplorables des ouvriers par exemple?
H.V.: Les normes ne sont pas celles que l'on connaît en Suisse. Comme dans 95% des pays. Je ne me sens pas responsable de ça.
- Et les droits de l'homme?
H.V.: Il n'y a jamais eu aucun engagement de la part du gouvernement chinois en la matière.
- Craignez-vous une grogne quant aux Jeux de Sotchi en 2014?
G.F.: On verra bien! Il ne faut pas regarder l'organisation des Jeux avec des yeux occidentaux... Le débat actuel est d'ailleurs très centralisé sur l'Europe et l'Amérique du Nord.
- Allez-vous reconsidérer vos critères de nomination?
G.F.: C'est compliqué: les membres du CIO votent sur des critères techniques, mais des éléments subjectifs entrent aussi en ligne de compte. Nous avons décidé de poser des questions supplémentaires aux villes candidates, par exemple sur les personnes déplacées à cause des constructions liées aux Jeux.
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«Un discours dépassé»
Daniel Bolomey, secrétaire général de la section suisse d'Amnesty International.
Caroline Stevan
Le Temps: On n'aura jamais autant parlé des droits humains en Chine. L'attribution des JO à Pékin serait-elle finalement une bonne chose?
Daniel Bolomey: Il y a effectivement quelque chose de positif à pouvoir attirer l'attention sur les réalités des droits humains en Chine, mais nous ne voudrions pas que cela finisse par empirer la situation. Il y a aujourd'hui en Chine des gens qui sont jetés en prison parce qu'ils ont pris ouvertement position contre les Jeux. Cela fait peser un risque sur la sécurité des JO. De quelle manière seront réprimées les éventuelles manifestations à Pékin? Comme au Tibet? Les Jeux ont lieu dans quatre mois; c'est le dernier moment pour engager une réflexion de fond sur la répression en Chine. Les JO ne pourront se dérouler dans de bonnes conditions sans un signal fort comme la libération de Hu Jia, condamné à trois ans et demi d'enfermement pour avoir critiqué la tenue des Jeux à Pékin.
- Qu'attendez-vous du CIO?
- Le discours affirmant que le sport et la politique ne sont pas liés est totalement dépassé, tout comme la question de boycotter ou pas la cérémonie d'ouverture des Jeux. Les Etats, le CIO et l'opinion publique doivent parler haut et fort des problèmes existant en Chine, mais sans commettre des actes qui seront pris comme de l'animosité, renforceront le nationalisme chinois et seront utilisés par le Parti communiste. Hein Verbruggen a dit en janvier que les Chinois avaient accepté certaines conditions comme la liberté de la presse, c'est faux! La question des droits humains n'est pas un domaine réservé aux Etats. La Déclaration universelle des droits de l'homme et la Charte olympique sont deux choses qui vont ensemble: toutes deux parlent de dignité humaine! L'olympisme se base sur trois piliers: le sport, la culture et l'environnement. Nous souhaitons que le CIO y ajoute les droits humains.
- Est-ce vraiment le rôle des sportifs que de prendre position en la matière, d'autant que les Etats et les entreprises continuent à commercer avec Pékin?
- Nous ne leur demandons pas de se positionner sur des choses qu'ils ne connaissent pas ou mal. Ils ne sont pas des porte-étendards mais ils doivent être au moins informés des réalités chinoises. La responsabilité est partagée. Nous avons lancé un appel aux entreprises sponsors des Jeux olympiques afin qu'elles utilisent leur influence pour ouvrir le débat sur la situation des droits humains en Chine.
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«Je déplore ces incidents»
Donghua Li, ancien champion olympique suisse d'origine chinoise.
Isabelle Musy
Le Temps: Vous vivez en Suisse depuis vingt ans, mais quel regard portez-vous sur les événements concernant Pékin 2008?
Donghua Li: Je déplore ces manifestations. Les Jeux olympiques représentent ce qu'il y a de plus important pour un athlète. C'est dommage que le sport soit relégué en 2e position. C'est bien de demander la démocratie et les droits de l'homme en Chine, mais ce qui se passe est exagéré. Le rôle du CIO et des JO n'est pas politique. Boycotter les Jeux de Pékin ne serait pas un bon choix.
- Retournez-vous en Chine?
- Oui, très régulièrement. Et d'un voyage à l'autre, je constate de nombreuses améliorations par rapport aux droits de l'homme. Les JO sont vraiment une plateforme - j'aime ce mot - qui va permettre à la Chine de montrer son nouveau visage et les progrès réalisés depuis vingt ans. Certes, il y a le problème du Tibet. Il faudrait une baguette magique pour le résoudre d'ici aux Jeux. Les JO ne pourront pas tout régler, mais, grâce à eux, la Chine fait parler d'elle et va s'ouvrir davantage vers le monde extérieur.
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«Il faut respecter la Charte»
Sergueï Aschwanden, judoka suisse, en phase de qualification pour les JO de Pékin.
Caroline Stevan
Le Temps: Que vous inspire tout ce débat autour des jeux chinois?
Sergeï Aschwanden: C'est vrai qu'il y a un problème en Chine et je peux comprendre les Tibétains qui utilisent la plate-forme des JO pour se faire entendre. C'est très bien de parler des lacunes existantes en matière de droits humains, mais le travail des sportifs est de faire du sport.
- Trouvez-vous injuste que l'on demande aux athlètes de prendre position?
- Je trouve cela délicat. Je ne me prononcerai pas sur la situation au Tibet parce que je ne la connais pas. Sportif professionnel est un métier très prenant, nous n'avons guère le temps de nous documenter. Nicolas Sarkozy va signer des contrats à Pékin pour Airbus et parle ensuite de boycotter la cérémonie d'ouverture des jeux; c'est incohérent mais personne ne le lui reproche. En outre, la Charte du CIO nous impose de ne pas tenir de discours politiques; si nous la signons, il faut la respecter. |